Accueil | La profession | Conges Payés | Hold-up sur les Caisses de Congés Payés - Par Fanny Guinochet,

BTP, transports, dockers, spectacle vivant, Scops... : pour boucher le trou de la Sécu, Bercy va jusqu'à ponctionner des systèmes de mutualisation favorables aux salariés. 

Les faits - Dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2015 actuellement débattu, l'article 14 prévoit de modifier les règles de prélèvement des cotisations des congés payés de plusieurs secteurs. Au risque de perturber un système de mutualisation qui fonctionne bien. 

Quel est le comble pour un gouvernement socialiste ? Réponse : s'attaquer à un acquis social hérité du Front populaire ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est pourtant ce qu'est en train de se préparer à faire le gouvernement. Pour combler le trou de la Sécu, l'exécutif a prévu de ponctionner les caisses de congés payés et intempéries du bâtiment. Ce racket figure en toutes lettres dans un article du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le PLFSS 2015. Cet article 14 est passé presque inaperçu. Pourtant, c'est une petite bombe à 1,3 milliard d'euros. 

Explication. Depuis 1937, les entreprises du bâtiment ont mis en place un système de mutualisation. Il permet à leurs salariés, qui changent souvent d'employeurs et qui sont parfois en chômage partiel à cause des intempéries, de toucher des congés payés et des indemnités intempéries. Les employeurs versent chaque année une somme calculée en fonction de leur masse salariale à une caisse en charge ensuite de payer les salariés mais aussi les cotisations sociales dues à la Sécu. L'astuce de Bercy consiste à changer la date à laquelle la Sécurité sociale récupérerait ces sommes. Plutôt que de ponctionner les cotisations sociales au moment où les salariés prennent leurs congés effectifs, l'Etat veut désormais le faire bien avant. C'est-à-dire au moment où les entreprises paient leur participation forfaitaire aux caisses. « En d'autres termes, il s'agit de siphonner de la trésorerie et de récupérer l'argent placé. C'est un pur hold-up », s'étrangle Jacques Chanut, le président de la Fédération du bâtiment. Et de prévenir : « Alors que la profession a du mal à s'en sortir dans une conjoncture morose, cette ponction ne peut pas passer. On a déjà eu la pénibilité, ça suffit ! ». 

Pour le député UMP Gérard Cherpion, qui a déposé un amendement – largement rejeté – pour contrer la mesure, « on est face à un pur délit d'incohérence du gouvernement : ce système de mutualisation est justement ce que prônent les socialistes. La portabilité pour une meilleure solidarité, des avantages sociaux pour les employés… que l'on met à mal en faisant les fonds de tiroir ». Car si le système fonctionne si bien – l'enveloppe atteint aujourd'hui 6,5 milliards –, c'est grâce aux intérêts générés par l'argent placé. Une manne qui permet des « générosités » qu'un patron d'une petite société, tout seul, ne pourrait pas offrir à ses équipes : des primes d'ancienneté, des primes de transports, etc. Dans le bâtiment, 85 % des entreprises sont de toutes petites structures qui emploient en moyenne trois salariés. 

Outre le fond, la méthode employée pour changer les règles agace. « On vous convoque à Bercy, un soir, pour vous expliquer que c'est une simple histoire de temporalité. Que l'affaire est déjà décidée et qu'il n'y aura pas de discussions », s'insurge un participant à la réunion. Il ajoute : « C'est limite si le haut fonctionnaire ne vous demande pas de le remercier parce qu'il vous a mis au courant quelques jours avant le vote du texte et qu'il n'était pas obligé de le faire ! » 

Enfin, en plus d'être vertueux, le passage par ces caisses de congés facilite la tâche des patrons en les allégeant de toute une paperasserie. « La gauche n'a que le mot de simplification à la bouche, mais elle est la première à complexifier les choses », commente encore Gérard Cherpion. Si la Sécurité sociale récupère l'argent des cotisations relatives aux congés avant que ceux-ci ne soient effectivement pris, il faudra ensuite prévoir nombre de régularisations. « Car par définition, vous ne pouvez pas prévoir à l'avance si la saison comportera des intempéries », explique Jacques Chanut. Pour la Fédération du bâtiment, l'adoption de l'article 14 aurait deux conséquences : soit rogner sur les avantages de plus de 1,5 million de salariés, soit augmenter les cotisations patronales des entreprises. Vu le contexte économique, la première option a le plus de chance d'être retenue

Dans l'exposé des motifs, le PLFSS évoque, de son côté non sans hypocrisie, l'harmonisation de la collecte : « Dans les secteurs où existent des caisses de congés payés, les règles applicables pour le recouvrement des cotisations sociales sont très disparates, certaines sont appliquées à la source par les employeurs, d'autres le sont à la sortie par les caisses de congés payés qui ne sont pas employeurs. La retenue à la source s'impose comme le modèle le plus cohérent à terme. ». 

Officieusement, l'exécutif justifie surtout cette ponction par la nécessité de trouver de l'argent pour financer le Pacte de responsabilité. D'où le sentiment très aiguisé des chefs d'entreprise qu'on leur prend d'une main pour leur redonner de l'autre. 

Pour tenter de faire passer la pilule, le gouvernement a prévu une mise en place progressive et transitoire des nouvelles règles d'ici le 1er avril 2018. Il risque toutefois de se heurter à une violente levée de boucliers, car le bâtiment n'est pas le seul concerné. Tous les métiers qui fonctionnent avec le même type de caisses sont dans le viseur : les travaux publics, en passant par les dockers ou encore les employés du spectacle vivant. Plus étonnant, les salariés des sociétés coopératives et participatives (Scops), dont le modèle est pourtant vanté par la loi Hamon, sont concernés. 

Enfin, également touchés, les transporteurs. Ces derniers ont déjà fait savoir leur vive opposition : « L'article 14 a pesé dans l'abandon de l'écotaxe, rapporte un proche du dossier. Si Mme Royal a reculé, c'est bien parce que les transporteurs étaient excédés », entre autres par cette nouvelle ponction. Si le texte est adopté en l'état, outre des actions musclées dans les jours à venir, les différentes professions promettent de le contester devant le Conseil constitutionnel.

Fanny Guinochet, Journaliste

Mise à jour le 11/01/2015