Accueil | L'essentiel | Droit social et Ressources Humaines | Ce n'est pas au droit du travail de régler les problèmes d'emploi

Vous contestez dans votre ouvrage* l'idée selon laquelle la subordination d'antan aurait vécu, ce qui justifierait de revoir les règles du droit du travail...

Le code du travail ne serait plus adapté aux entreprises modernes et aux rapports de pouvoir actuels. Ce n'est pas vrai. Certes, la notion de subordination où un employeur dicte des directives précises à un salarié qui les exécute est en déclin. Mais d'autres formes de pouvoir - parfois beaucoup plus intrusives d'ailleurs - se sont substituées à la subordination classique : contrôle des emails,géolocalisation, surveillance vidéo,.... Qui est le plus subordonné ? Celui qui a son téléphone dans sa poche en permanence ou celui qui pose sa blouse à 18 heures et quitte son entreprise ? L'intensité du pouvoir de direction n'a pas varié. On ne peut pas au nom d'une plus grande autonomie retirer des droits aux salariés, alors que cette autonomie est contrôlée. D'ailleurs, la Cour de cassation elle-même pose des limites à l'autonomie accordée dans le cadre des forfaits-jours. 
Vous ne pensez donc pas qu'il est temps de simplifier le code du travail ?
Si. Il y a effectivement des règles à simplifier. Prenons la question des seuils. Le paradoxe aujourd'hui, c'est qu'on s'attaque aux seuils sociaux alors qu'ils étaient justement conçus pour dispenser les PME d'un certain nombre d'obligations. Il faudrait plutôt simplifier les modes de calcul qui sont différents d'un seuil à l'autre. Il serait également souhaitable de mieux distinguer la situation des PME, et pas seulement en droit du travail. Je propose à cet égard un 'small business act' à la française. 
Il convient aussi de rappeler que le code du travail ne vise pas qu'à protéger les salariés ; il sert aussi à fixer des règles d'organisation du travail sans lesquelles l'entreprise ne pourrait pas fonctionner.  
Il est question de supprimer les peines d'emprisonnement attachées au délit d'entrave. Qu'en pensez-vous ?
Il y a un problème d'effectivité. Les peines d'emprisonnement sont rarement prononcées et ne sont dès lors pas dissuasives. Il faut des sanctions qui le soient suffisamment pour éviter ce que j'appelle 'la violation efficace des règles de droit'. En somme, la violation du droit peut être économiquement justifiée lorsque l'éventuelle condamnation pécuniaire est inférieure au bénéfice escompté. 
Une trop forte protection des salariés créerait une rigidité du marché du travail qui nuirait aux demandeurs d'emploi. Quel est votre avis ? 
J'estime que ce n'est pas de la responsabilité du droit du travail de régler les problèmes d'emploi. La question de l'emploi a accaparé tous les débats. Il ne faut pas que l'emploi soit une justification pour remettre en cause les règles de droit du travail. Il n'est pas prouvé qu'en détricotant le droit du travail, on améliore l'économie. Le projet de loi Macron, par exemple, ne pourra pas relancer l'économie, ni révolutionner le droit du travail. En revanche, il illustre le détricotage par petites touches du droit du travail. 
Il faut aussi être vigilant avec le concept de 'sécurisation professionnelle'. C'est bien sûr positif que les droits soient maintenus après la perte de l'emploi. Mais encore une fois attention à ne pas opposer les 'insiders' et les 'outsiders'. 
Plus largement, derrière toute question technique, il y la question plus politique des droits qu'on veut bien accorder aux salariés. Définir les critères de la pénibilité par exemple - au-delà même de la technique - c'est toute la question de savoir jusqu'où on va pour protéger les salariés.  
La négociation sur la modernisation du dialogue social a échoué. Faut-il revoir la loi dite 'Larcher' qui impose la consultation des partenaires sociaux préalablement à toute réforme du droit du travail?
Non. Il faut revoir sa philosophie et la portée politique qu'on lui donne. L'article L.1 du code du travail prévoit seulement une concertation des partenaires sociaux, pas une obligation de négocier ni de reprise du contenu des discussions. Par ailleurs, lorsqu'on négocie sur l'emploi (travail dominical, accords de maintien dans l'emploi, licenciements économiques), l'Etat n'a pas à faire peser sur les partenaires sociaux la définition de l'intérêt général.  
Vous mettez en garde contre le 'tout conventionnel', et la tentation d'ouvrir davantage le champ de la négociation d'entreprise en permettant notamment à l'accord collectif de prendre le pas sur le contrat de travail. Pourquoi?
Qu'il s'agisse du travail dominical ou des accords de maintien dans l'emploi par exemple, le consentement du salarié doit perdurer. Le salarié doit pouvoir refuser ces modifications, car on touche à des conditions essentielles de son contrat de travail. Ce n'est pas aux partenaires sociaux de mettre en cause l'accord du salarié, même par accord majoritaire. Légitimité individuelle et légitimité collective se complètent.  
Mais les accords d'entreprise peuvent aussi être un outil d'attractivité et de fidélisation des salariés? 
Effectivement. La qualité du travail dépend aussi des droits dont disposent les salariés. Les entreprises doivent ainsi être vigilantes afin de maintenir une certaine paix sociale et l'attractivité en matière d'embauche. 
* Il faut sauver le droit du travail, Pascal Lokiec (éd. Odile Jacob, janvier 2015)  

Source : L'express
Par Florence Mehrez

Mise à jour le 29/01/2015